Violes

Viole de gambe

La viole de gambe (qui veut dire la « viole de jambe ») ou viole est un instrument de musique à cordes et à frettes joué à l'aide d'un archet. Le terme italien viola da gamba (prononcé en italien :  le distingue de la viola da braccio par la différence de la tenue de l'instrument (la basse de viole est tenue entre les jambes, d'où son nom, et l'archet est également tenu de façon différente).

Tailles

La famille des violes compte sept instruments (pardessus de viole, dessus de viole, viole de gambe alto, viole de gambe ténor, basse de viole de gambe, grande basse de viole de gambe, contre basse de viole de gambe). Toutes les tailles sont tenues entre les jambes, sauf la contrebasse :

  • Dessus de viole (accord : ré, sol, do, mi, la, ré)
  • Viole de gambe alto (historiquement rarement utilisée : do, fa, si bémol, sol, do)
  • Viole de gambe ténor ou taille de viole (sol, do, fa, la, ré, sol)
  • Basse de viole de gambe (ré, sol, do, mi, la, ré, parfois une 7e corde : la grave)
  • Grande basse de viole de gambe ou violone en sol (sol, do, fa, la, ré, sol)
  • Contre basse de viole de gambe ou violone en ré (ré, sol, do, mi, la, ré)
  • En plus de cette série, une viole plus petite fut ajoutée en France au XVIIIe siècle, pour permettre aux nobles de jouer le répertoire du violon dont l'usage était considéré comme vulgaire. Cette petite viole, le pardessus de viole, est accordée une octave plus haut que la viole ténor (en conservant toutefois la tierce do-mi), et possède parfois seulement 5 cordes (sol, ré, la, ré, sol)1.

Contrairement à une idée communément répandue, les deux familles, celle du violon et de la viole, n'ont aucune relation entre elles : la viole de gambe n'est pas l'ancêtre du violon. Elles sont apparues presque simultanément, mais dans différentes parties de l'Europe.

Histoire des violes de gambe

Origines : de l'Espagne à l'Italie

La viole de gambe est née dans la région de Valence en Espagne à la fin du XVe siècle. La première peinture représentant une viole de gambe jouée par un ange, trouvée à Xàtiva (Valencia), date de 14752. Par ses frettes, le nombre de ses cordes (six) et l'accord (en quartes, avec une tierce au milieu), cet instrument dérive du luth ou de la vihuela. La viole de gambe peut être considérée comme un « luth à archet ». On la joue en la tenant sur les genoux, d'où son nom, venant de l'italien da gamba qui signifie jambes.

La famille des violes de gambe

La viole de gambe dérive du vihuela d'arco. Elle s'est d'abord développée en Espagne, puis a connu des heures de gloire en Italie. En effet, l'année 1492, l'Espagnol Valencian Rodrigo Borja (en italien Borgia) fut élu au trône papal et devint Alexandre VI. Or le pape amena de nombreux violistes à Rome, lesquels étaient employés pour la musique d'église. La viole eut alors un succès énorme en Italie et Isabelle d'Este, amoureuse de la « viole a la spagnola » en commanda plusieurs à un luthier renommé, Giovanni Kerlino, à Brescia.

Instruments de la Renaissance

Ces nouvelles violes fleurirent un peu partout sur le sol fertile de la Renaissance italienne, et, au début du XVIe siècle, un nombre considérable de traités (à une époque où l'impression des livres était extrêmement chère), contribua à la rapide diffusion et à l'immense popularité du nouvel instrument. Ces travaux sont intéressants, par leur avance incroyable et leur compréhension sophistiquée des possibilités expressives d'un instrument à cordes. Ainsi, en 1542 et 1543, le traité de Ganassi, Regola Rubertina, ne trouva pas d'égal avant le traité de Léopold Mozart en 1756.

Des centres de fabrication de l'instrument en Italie, sont nés des instruments magnifiques. D'importantes « dynasties » de luthiers comme Amati, Stradivari, Guarneri et Ruggieri contribuèrent à élever le nom de Crémone au plus haut niveau. La ville de Brescia comporte aussi deux noms, Gasparo da Salò (1549 – 1609), et Giovanni Paolo Maggini (1580 - 1630) dont les instruments sont considérés comme des instruments de premier choix par les solistes actuels. De Crémone, Brescia, mais aussi Milan, Venise, Mantoue, Bologne, Florence, Rome et Naples sont sortis, de 1540 à 1780, des viola da gamba et viola da braccio (« viole de bras » : c'est ainsi que l'on nommait les instruments de la famille du violon) dont la qualité reste inégalée jusqu'à nos jours. De l'Italie et de l'Espagne, la viole de gambe s'est alors diffusée dans toute l'Europe. Elle fut en vogue jusqu’à la Révolution française, bien que certains en jouassent encore jusque vers 1800.

L'éclipse

Le répertoire de cet instrument tombé dans l'oubli pendant plus de deux siècles ressortit à la musique baroque. La viole a en effet été supplantée par le violoncelle, malgré le traité d'Hubert Le Blanc : Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle (1740) et la tentative de création par Michel Corrette, vers 1780, d'un hybride, la viole d'Orphée, définie par ce dernier comme un « nouvel instrument ajusté sur l'ancienne viole, utile en concert pour accompagner la voix et pour jouer des sonates », avec cette encourageante addition : « Les dames, en jouant de notre viole d'Orphée, n'en paraîtront que plus aimable, l'attitude étant aussi avantageuse que celle du clavecin. » (La viole d'Orphée était dotée de cordes en métal et ne possédait pas de frettes. Elle avait une sonorité totalement différente de la viole et du violoncelle, chargée d'harmonique, particulièrement timbrée. L'ensemble Lachrimæ Consort a reconstitué l'instrument et l'a enregistré (viole d'Orphée : Philippe Foulon). Si la viole a fini par disparaître, c'est parce que le violon, qui était à l'origine un instrument de rue et de cabaret dont le noble ne pouvait pas jouer, prenait peu à peu ses lettres de noblesse... De plus, pendant la Révolution française et après, les violes, sans doute jugées trop aristocratiques, furent transformées en violoncelles, violons et altos...

La redécouverte

Depuis la redécouverte de la musique baroque (ou du moins la découverte de sa spécificité en tant que telle) dans le dernier tiers du XXe siècle, la viole a progressivement été remise au goût du jour, notamment par des interprètes comme les St Georges (pères et fils), Hannelore Müller, August Wenzinger (Bâle), et plus récemment Wieland Kuijken (Bruxelles) et en Espagne par Jordi Savall et son ensemble Hespèrion XX ; Jonathan Dunford et son ensemble A 2 Violes Esgales (en) ; ou encore José Vázquez et son ensemble Orpheon. Le film Tous les matins du monde d'Alain Corneau, pour lequel le luthier Pierre Jaquier a réalisé les instruments, a aidé la viole à être appréciée par le grand public. Depuis lors, il n'est pas rare que des pièces initialement écrites pour viole mais jouées depuis la période romantique exclusivement sur violoncelle, soient de nouveau interprétées sur viole. La viole fait aujourd'hui partie des instruments utilisés en musique contemporaine. C'est ainsi que, par exemple, Philippe Hersant a écrit dans les années 1990 un Aus Tiefer Not (Psaume CXXX) pour 12 voix, viole de gambe et orgue3.

Le répertoire

Bien que la littérature de consort comprenne des pièces pour 2 à 7 musiciens, la combinaison de deux dessus, deux ténors et deux basses formait un « assortiment de violes » qui auraient idéalement dû être fabriquées par le même luthier. En raison de ses accents délicats, riches et finement nuancés, la viole était employée de préférence dans les polyphonies, soit combinée à d’autres voix (motets, madrigaux, chansons), soit dans des formes instrumentales dérivant de modèles vocaux (Ricercare, Canzona, Tiento et Fantasia). Les maîtres anglais – William Byrd, Alfonso Ferrabosco, Orlando Gibbons, Coperario, William Lawes, Henry Purcell – trouvèrent dans la fantaisie contrapuntique la forme par excellence dans laquelle exprimer les pensées les plus érudites, et la poésie la plus sublime. Par respect pour leur mérite artistique ces œuvres peuvent non seulement être comparées aux chefs-d’œuvre de la poésie et de l’art dramatique de leurs contemporains anglais, mais aussi aux chefs-d’œuvre de la musique de chambre de toutes les périodes. Ainsi lorsque Mersenne souhaite montrer quel style de musique convient le mieux à la viole, il choisit d’imprimer une fantaisie à six parties de Alfonso Ferrabosco, anglais malgré son nom.

L'instrument aristocratique

Madame Henriette, fille de Louis XV jouant de la basse de viole, par Jean-Marc Nattier, huile sur toile, 246x185cm, château de Versailles.

La viole était à proprement parler un instrument aristocratique dont l’étude faisait partie de l’éducation artistique d’un gentilhomme, au même titre que le luth, le clavecin et le chant.

Elle était utilisée principalement dans la musique sérieuse, dans les milieux éduqués, contrairement au violon, qui n’était employé à ses débuts que par des musiciens professionnels et des ménestrels pour la danse et les divertissements. Ainsi, dans son manuel du courtisan Il Libro del Cortegiano de 1528, Baldassare Castiglione considère la pratique de la viole comme indispensable à l'éducation d'un noble : « La musique n'est pas simplement un amusement, mais une nécessité pour un courtisan. Elle devrait être pratiquée en présence de dames, parce qu'elle prédispose l’individu à toutes sortes de pensées... Et la musique à quatre violes est très enchanteresse, parce qu'elle est très délicate douce et ingénieuse. »

Relayant les idées de l’humanisme italien, les princes amoureux d’art que furent François Ier (†1547) et Henri VIII (†1547) amenèrent respectivement en France et en Angleterre, non seulement les plus grands peintres, sculpteurs et penseurs d’Italie, mais également les compositeurs et musiciens de ce pays. À l’époque où la pensée néoplatonicienne était présente à l’esprit de chacun, Pétrarque et l’Arioste sur toutes les lèvres, la viole de gambe était dans toutes les mains.

Lutherie

Les instruments de la famille des violes ont une forme très variable, qui n'a pas été standardisée. Aussi, on ne peut pas parler de la forme de la viole de gambe, mais des formes. Les violes italiennes par exemple, avaient la même forme que les instruments de la famille du violon4,5, alors que les violes anglaises ont des épaules tombantes, comme la contrebasse moderne6 ; il existe aussi des formes plus originales7. Le son est considéré plus doux, peut-être plus mélancolique, que celui du violon, ou bien plus aigre et grinçant, selon les sensibilités : en effet, la viole de gambe est un instrument dont la popularité connaît des éclipses. Au XVIIe siècle, en France, c'était l'instrument noble, tandis que les violons, considérés comme instruments populaires, étaient réservés à l'accompagnement des danses et aux musiciens de rue.

Pardessus de viole, modèle de Nicolas Bertrand Paris 1714
 
 
Dessus anglais (anonyme)
 
 
 Ténor de viole, modèle de John ROSE Londres 1600
 
 
 
 Basse de viole à 6 cordes, modèle de Richard MEARES Londres 1660
 
 
 
 Basse de viole à 7 cordes, modèle Nicolas BERTRAND Paris 1720
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